Karine Tuil est une grande romancière. Elle aime la fiction. Elle aime la lire, elle aime l’écrire. Amoureuse des mots, elle sait les utiliser, tout en subtilité, pour saisir et questionner le monde, dans toute sa complexité.
Ses livres sont des fresques romanesques et sociales modernes. Sous sa plume généreuse et acérée, l’économie, la politique, les médias, la violence, la guerre, la religion, la famille, l’identité, l’amour et les sentiments font l’objet de scénarios écrits au cordeau.
Lectrice immodérée, auteure inspirée, elle nous avoue ici quelques unes de ses passions littéraires.
[READING WILD] Quelle lectrice êtes-vous, Karine Tuil ?
[KARINE TUIL] Je lis beaucoup, partout, le soir, en particulier, la journée étant consacrée à mes recherches et à l’écriture. Il m’arrive de lire plusieurs livres en même temps. Par exemple, récemment, j’ai relu « Albertine disparue » de Proust tout en me plongeant dans le recueil d’articles d’Emmanuel Carrère « Il est avantageux d’avoir où aller » et les entretiens de Marguerite Duras qui viennent de paraître au Seuil. Et j’ai une autre obsession : la presse que je lis de manière compulsive quel que soit le sujet.
[RW] Pour vous lire c’est…
[KT] Pour moi, lire, c’est questionner, tenter d’appréhender la complexité du monde. Certains textes – je pense notamment à « La supplication » de Svetlana Aleksievitch que j’ai lu récemment – vous ébranlent. « Un livre doit être un danger » écrivait Cioran. Et puis, il y a une autre idée forte, c’est la transmission. Lire, c’est aussi, à son tour, transmettre, car il est rare qu’on ne conseille pas un livre que l’on a aimé. Il devient alors un sujet de discussion et donc, de réflexion et de questionnement.
[RW] Votre premier contact avec les livres ?
[KT] Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu des livres et, en particulier, un dictionnaire. Chaque soir, avant de m’endormir, j’aimais le parcourir et apprendre un nouveau mot. J’ai gardé intacte cette passion des mots rares ou vieux.
[RW] Le premier livre qui vous a marqué ?
[KT] « J’irai cracher sur vos tombes » de Boris Vian m’a beaucoup marquée. J’étais assez jeune quand ma mère me l’a donné à lire. Il m’a semblé un peu subversif et j’ai compris inconsciemment que la littérature serait un espace de liberté totale, où la transgression serait autorisée. Par la suite, elle m’a conseillé des textes qui avaient tous une forte dimension sociale.
[RW] Le premier auteur que vous avez aimé
[KT] Le premier auteur que j’ai aimé fut Albert Camus. J’avais été très marquée par la lecture de « L’étranger ». Il y avait, dans ses livres, une charge politique qui m’impressionnait. Et puis, il y a eu aussi Kafka. « La métamorphose », bien sûr, mais aussi « Le château » et son « Journal ».
[RW] Le livre qui a changé votre vie ?
[KT] Aucun livre n’a « changé ma vie » mais je peux dire que plusieurs ont eu une influence sur moi ou mon travail. « Le bruit et la fureur » de Faulkner, « Le Journal » de Witold Gombrowicz, « De l’inconvénient d’être né » de Cioran, « Le livre de l’intranquillité » de Pessoa, « Cent ans de solitude » de García Márquez, et tant d’autres… La littérature est un éblouissement sans cesse renouvelé.
[RW] Quel livre emmèneriez-vous partout avec vous ?
[KT] Je pourrais emmener partout avec moi un dictionnaire de mots rares, la Bible, « A la Recherche du temps perdu » ou les entretiens de Truffaut et Hitchcock, j’ai des goûts très éclectiques… Mais en réalité, j’ai souvent dans mon sac des textes courts que je peux emporter n’importe où, « Le parti pris des choses » de Francis Ponge, par exemple, ou des textes de Blanchot.
[RW] Le livre que vous aimez offrir ?
[KT] J’aime beaucoup offrir des poèmes de Paul Celan, notamment « La rose de personne », les mémoires de Joseph Brodsky « Loin de Byzance » ou des livres que j’ai particulièrement appréciés, « La question humaine » de François Emmanuel, par exemple.
[RW] Le livre que vous avez le plus relu ?
[KT] Le livre que j’ai le plus relu ? Peut-être le Journal de Kafka et celui de Gombrowicz.
[RW] Votre littérature favorite ?
[KT] Je n’en ai pas.
[RW] Vos auteurs cultes ?
[KT] Réponse très classique : j’aime les auteurs qui bousculent la forme littéraire ou ceux qui ont une vraie complexité intellectuelle ou narrative. Entre autres, je peux citer Faulkner, Beckett, Duras, Gombrowicz, Bolaño, Kafka et chez les contemporains, Philip Roth, Jonathan Franzen, Michel Houellebecq, Emmanuel Carrère.
[RW] Votre endroit préféré pour lire ?
[KT] J’aime lire dans mon bain ou dans mon lit.
[RW] Votre position lorsque vous lisez ?
[KT] Allongée de préférence.
[RW] Quelle est la place des livres dans votre maison ?
[KT] Chez moi, les livres son absolument partout. Dans chaque pièce. Rangés dans des bibliothèques ou posés par terre.
[RW] Pour vous une pièce sans livres c’est …
[KT] Une pièce sans livres, c’est une annonce morbide. Quand je rentre chez quelqu’un, je cherche toujours la bibliothèque dont le contenu dit beaucoup de celui qui la possède.
[RW] Selon vous, en quoi les livres sont-ils essentiels dans nos vies et dans notre société ?
[KT] Les livres font partie de la vie, ils nous permettent de comprendre le monde et de le démystifier.
[RW] Peut-on dire que lire c’est un engagement, une résistance aujourd’hui ?
[KT] Non. Lire n’est ni un engagement ni une résistance. C’est une expérience personnelle, intime, puissante.
[RW] S’il ne fallait garder qu’un mot, pour vous les livres sont…
[KT] … indéfinissables.
[RW] Votre bibliothèque est rangée par…
[KT] Ils sont éparpillés partout. C’est le grand désordre. J’espérais les classer par auteur mais j’ai renoncé.
[RW] Si vous ne deviez garder que 10 livres, quelle serait votre sélection ?
[KT] C’est une sélection impossible car cette liste varie en fonction des périodes d’une vie. Mais vous y trouveriez certainement les livres précités.
Entretien réalisé à Paris en mars 2016
« L’insouciance » le dernier roman de Karine Tuil a été publié aux éditions Gallimard, et a reçu le prix Landernau.
Retrouvez toute l’actualité de Karine Tuil sur son site www.karinetuil.com