Mathias Malzieu, c’est un peu Tim Burton qui aurait croisé Boris Vian.

Avec lui la vie est comme un conte acidulé écrit à l’encre rouge du coeur.

Ses ouvrages et ses chansons sont des bonbons au goût intime et à la poésie amusée, à consommer sans modération!

Pour READING WILD il a accepté de dévoiler ses livres préférés ; ceux qui l’inspirent, et ceux qu’il aime lire.

Rencontre avec un auteur-lecteur, kidult sincère et tendre, qui ne se prend pas au sérieux !

[READING WILD] Mathias Malzieu, quel lecteur êtes-vous ? Lisez-vous plusieurs livres en même temps, un seul livre à la fois ?

[MATHIAS MALZIEU] Ça dépend des périodes… Mais c’est vrai que je lis souvent plusieurs livres à la fois, en même temps… Surtout dans les périodes de tournée. Finalement j’ai presque un livre pour chaque mode. C’est à dire que je vais avoir un livre qui traîne dans le « tour-bus », que je vais avoir plaisir à retrouver le soir, quand l’adrénaline commence à redescendre et que le bus part de ville en ville. J’aime bien avoir mon petit livre, comme ça, que je retrouve… Et pour autant quand je vais retourner chez moi, je vais en lire un autre. Ce n’est pas une femme dans chaque port mais un livre dans chaque port (rire)

 

[RW] Ce goût de la lecture il remonte à votre enfance ? Il est venu très tôt ?

[MM] Non. Il est venu tard. Enfant j’étais un peu un hyperactif. Du coup j’avais beaucoup besoin de me dépenser physiquement ; donc la lecture ça ne convenait pas trop à cela. En tout cas, ça n’a pas convenu tout de suite. J’étais vraiment plus dans l’activité sportive etc… Il a fallu que je tombe sur des profs de français qui m’ont passionné vers la seconde. Et que je me fasse toute une culture qui n’était pas que livresque en fait, qui était vraiment disque et cinéma. J’ai commencé à découvrir à la fois Tom Waits, le cinéma de Jarmush , la Beat Generation… Et j’ai commencé vraiment à me dire : « ah il y a des trucs pour moi ». Pas juste pour lire et pour avoir de la connaissance, des trucs pour moi avec les Kerouac, Ginsberg, Burroughs ; et finalement ça a été un tremplin.

 

 

[RW] Quels sont les premiers auteurs qui vous ont marqué ?

[MM] Les vrais premiers auteurs qui m’ont complétement plu, arrivent juste après ; c’est des gens comme Brautigan, Fante, et puis la poésie de Maïakovski, des choses comme ça. C’était les premiers trucs qui se connectaient avec des chansons que j’avais écoutées. J’ai remonté un arbre généalogique qui venait parfois du cinéma ; comme par exemple Walt Whitman que j’avais découvert comme tous le monde dans « Le cercle des poètes disparus » mais aussi dans « Down by law » de Jim Jarmush… Il y a eu plein de petits voyages . Maïakovski c’est dans une chanson de Noir Désir. Autant de petites découvertes  comme ça où je ne remontais pas de manière classique le courant des choses qui me passionnaient. Et je suis tombé sur des trésors qui comptent encore pour moi aujourd’hui.

 

[RW] Ce lien entre les livres et la musique… C’est un lien que vous avez développé vous-même dans votre créativité. Ecrire mais en même temps développer un album en écho ou en synergie  par exemple…

[MM] Oui parce que finalement le spectateur, le lecteur, ou le consommateur de musique et de films, en réalité c’est le même que le créateur. Je ne suis pas une autre personne. Je ne me mets pas dans une posture quand j’écris ou quand je compose. Quand j’essaie de raconter moi-même des histoires c’est la même passion qui m’anime.  La passion de mon propre univers est nourrie par la passion de l’univers des autres.

Que ce soit juste une rencontre, un voyage, ou que ce soit spécifiquement un livre un film ou un disque, finalement je produis de la même manière que je consomme.

 

[RW] On dit souvent des livres que ça « fabrique » de l’ imaginaire… Vous Mathias qui avez justement un univers hypersensible , qui êtes un ultra créatif, c’est quelque chose que vous ressentez dans votre affinité avec les livres, ce rapport à l’imaginaire ?

[MM] Eh oui. Le livre , c’est l’intimité absolue, c’est-à-dire que même si je ne fais pas de hiérarchie entre le film, le disque et le livre, c’est un moment vraiment différent. Un disque on prend des photos , je mets la musique et c’est chouette. Par contre un livre , non, un livre c’est l’intimité absolue.

Il faut souvent le silence ; pas forcément pour tout le monde mais en tout cas on est seul avec son livre, et on peut pas faire autre chose que lire. Au cinéma, on peut encore un peu embrasser quelqu’un, ou manger des popcorns. Le livre finalement, on peut aussi, mais il faut presque faire une pause. Le moment où tu lis, tu ne fais que ça ; donc il y a zéro filtre, et ça c’est fascinant. Et là je parle, à la fois, en tant que lecteur et raconteur d’histoires, parce qu’on est vraiment dans l’intimité, on se glisse dans le sac des gens, c’est encore autre chose que d’aller au cinéma. Même si j’adore aller au cinéma, c’est un moment sacré, aussi ; mais c’est encore d’autres choses, ce serait d’autres questions… Mais le livre… ça se faufile partout. Ça en fait quelque chose d’extrêmement privilégié.

[RW] Le livre se faufile partout… Alors justement, est ce que il y a un livre que vous emmèneriez partout avec vous ?

[MM] Il y en a plein donc j’aurais du mal… Je ne vous ferai pas l’embrouille de la liseuse… quelle liseuse emmèneriez vous partout ? (rire)

[RW] Celui que vous aimez offrir ?

[MM] J’aime beaucoup offrir les livres que j’aime. Et effectivement le livre avec lequel vous m’avez pris en photo, « Mon oncle Oswald » parce que je l’ai découvert assez tard, alors que j’avais découvert Roald Dahl comme tout le monde, avec les livres pour enfants comme « Le bon gros géant » ,   « Charlie et la chocolaterie » etc …

Ça a été comme une double surprise de découvrir ses livres pour adultes : on a à la fois l’impression d’avoir un livre de plus d’un auteur qu’on aime, mais pas de la même manière ; c’est comme si on découvrait un deuxième auteur qu’on adore mais en même temps c’est déjà un auteur qu’on adore, mais qui propose autre chose. C’est bien le même mais c’est quand même autre chose. Et ce livre « L’oncle Oswald » qui est à la fois subversif et drôle, pour moi c’est un espèce de « Forest Gump » érotique complétement fou et créatif, et ça résume tout le parcours de Rold Dahl, autant dans sa malice, son côté enfantin, et en même temps dans son côté un peu aventurier, explorateur et un petit peu subversif aussi.

On trouve ça aussi dans ses livres pour enfant, même s’il ne le traite pas de la même manière par ce qu’il ne s’adresse pas aux mêmes personnes. Il décloisonne et ça me plait beaucoup.

 

[RW] Vous évoquez beaucoup d’auteurs anglo-saxons. Vous les lisez en anglais dans le texte ?

[MM] : Les deux. Je n’ai pas assez d’anglais pour lire directement en anglais mais par contre, quand j’ai adoré un livre en français, je le relis en anglais quand je peux. J’aime bien faire ça, de temps en temps. En plus  je trouve que les livres anglais, en terme de visuels, de couverture, c’est tellement beaucoup plus agréable. On a l’impression qu’ils aiment plus les livres que nous. En fait ils désacralisent le côté, entre guillemets, « littéraire », et ça fait un bien fou !

Moi par exemple, j’adore aller à la librairie Shakespeare and Compagnie, on a l’impression d’être, dans une caverne d’Ali Baba. Cet endroit est génial, mais le traitement anglo-saxon de l’édition  les aide énormément à ça. En France, on a souvent l’impression que si on fait une « couv » en couleurs comme eux, c’est soit c’est parce qu’on est enfant, soit parce que ce n’est pas de la littérature. C’est dommage. Et c’est pour moi une tradition qui est maintenant vieillotte. J’aime l’idée de pouvoir lire un bon texte, même très littéraire, avec une jolie couverture, pas forcément un truc austère, tout blanc. Je pense qu’on est en retard là dessus.

[RW] Avez-vous un endroit préféré pour lire ?

[MM] Oui. C’est l’œuf. Mon siège œuf dans lequel je lis, j’enregistre, je mange des granolas, je fais des bisous aussi pas mal.

« Le livre, c’est un petit objet comme ça avec du lien dedans  »  

[RW] En quoi les livres sont-ils essentiels dans la société selon vous ?

[MM]: Pour moi c’est du lien en fait. C’est un truc qu’on ne subit pas. Le livre ça se donne. On peut parler des films, on peut parler des disques – c’est très très précieux tout ça aussi –  je ne voudrais pas trop faire de « hiérarchie »,  mais c’est vrai que le livre, c’est un petit objet comme ça avec du lien dedans. Et ça c’est vital.

On a tous un cerveau, un cœur qui est branché au début. Et je veux bien qu’il y en ait certains qui fonctionnent mieux que d’autres mais on a quand même de quoi partager et se marrer un peu ensemble ; et j’ai l’impression que le livre est vecteur de ça, qu’il peut aider à ça. Toutes les formes de livres, sans hiérarchie, c’est du lien. Et pour moi, c’est la base de tout, le lien.

« Le truc génial, il est aussi en bas de chez vous, dans la librairie, tout simplement ; et des millions de gens l’ont lu ; et ça n’est pas grave que d’autres gens l’aient lu. Au contraire, c’est bien. »

[RW] L’entretien touche à sa fin, nous n’avons pas cité beaucoup d’auteurs français. Quels seraient vos favoris ?

[MM] Boris Vian, c’est l’évidence. On sent l’écrivain qui écrit des chansons, et on sent le musicien qui écrit des livres ! Ça l’a beaucoup empêché à l’époque, parce qu’il n’était pris au sérieux dans rien. Lui ne se prenait pas au sérieux, mais il faisait les choses sérieusement et c’est peut-être ce que les gens ont du mal à comprendre parfois . Ne pas se prendre au sérieux, ça ne veut pas dire ne pas être sérieux.

Après il y a les poètes comme Baudelaire. Moi je suis tombé à l’oral de français sur un texte de Baudelaire, et ce sont des choses qui m’ont marqué, même si ce sont des grands classiques. Il faut pouvoir découvrir des choses qui sont pas connues du tout sans snobisme, sans se dire « ah je connais un truc que les autres ne connaissent pas » ; mais il ne faut pas faire exprès des passer à côté des classiques parce qu’ils sont classiques.

Moi j’ai eu cette réaction adolescent à un moment donné, je ne voulais pas lire un livre classique. Je voulais toujours découvrir le chanteur qui s’enregistre dans sa cabane, et que personne ne connait. Idem pour les auteurs. J’avais un rapport à « la chasse aux trésors ». Pourtant le truc génial, il est aussi en bas de chez vous, dans la librairie, tout simplement ; et des millions de gens l’ont lu ; et ça n’est pas grave que d’autres gens l’aient lu. Au contraire, c’est bien.

Si l’on parle des gens que j’adore aussi en français, il y’a Daniel Pennac que j’aime beaucoup. Dans son livre « Comme un roman », il parle de la gourmandise de lire ; et il dit ceci :  « si ça ne vous plaît pas au bout de quarante pages, ne lisez pas ! ».  Mais qu’est ce qu’il a raison ! Il y a plein de livres, il y a plein de voyages… Quand on va dans un bar et que l’on aime pas l’ambiance, on change. On n’est pas obligé de rester jusqu’à deux heures du mat’, et bien pour les livres c’est pareil !

Si on a envie de commencer par la fin,  et puis si on a envie de lire tout un auteur parce qu’on adore, allons y !

[RW] Daniel Pennac, quand nous l’avons interviewé, nous  lui avons demandé s’il avait envie d’ajouter un onzième droit du lecteur à sa liste. Il nous a dit : « Le droit de s’endormir en lisant »…

[MM] Oui tout à fait ! Parce que ça détend la lecture. Je suis très admiratif de Daniel Pennac, c’est un mec super. Il y a une librairie à côté qui  s’appelle « Comme un roman». D’ailleurs ce livre, et mon livre, ont été traduits par la même traductrice en anglais. C’est une de mes grandes fiertés. Elle s’appelle Sarah Adams Ardisone.

[RW] Merci Mathias Malzieu

[MM] Merci.

Propos recueillis par Sylvia Minne
Photographies : Francesca Mantovani