Emmanuel Noblet est avant tout un acteur. Il a joué Shakespeare, Racine ou encore Lagarce. Mais en 2014, c’est la rencontre! Il découvre « Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal. C’est le choc. Il lit, relit le livre, et décide de l’adapter pour le théâtre. Sensibilité au corps à coeur, il fait naître le jumeau du livre, sur scène. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. L’acteur donne une nouvelle vie au texte. Un cadeau que le livre lui rend bien en le révélant totalement à son tour : à travers cette création Emmanuel Noblet s’est trouvé comme acteur et metteur en scène. Un spectacle récompensé par le Molière 2017 du « Seul en scène ».
Rencontre avec un homme de qualité, et un lecteur sensible, et profond.
[READING WILD] Emmanuel Noblet, quel lecteur êtes vous ?
[EMMANUEL NOBLET] Je suis un lecteur tardif, lent et procrastinant. J’ai commencé tard, j’ai lu surtout des BD pendant toute l’adolescence. Je lis toujours lentement, comme si je disais le texte à voix haute. Et si j’achète un livre et que je ne le commence pas tout de suite, il peut rester des jours dans mon sac, des semaines sur mon bureau puis des mois sur une étagère. Depuis quelques années, j’en lis plusieurs en parallèle et je raccourcis la période de séduction: si je n’accroche pas, je survole les pages restantes jusqu’à lire, toujours, la dernière phrase.
« Je lis toujours lentement, comme si je disais le texte à voix haute. »
[RW] Pour vous lire c’est…
[EN] Se rencontrer, soi et le monde.
[RW] Premier contact, premier souvenir avec les livres ?
[EN] « Petit Jean va dans la lune » une histoire que ma mère nous lit à ma soeur jumelle et moi.
[RW] Le premier livre qui vous a marqué ? Pourquoi ?
[EN] « L’Etranger » de Camus. Pas seulement à cause de sa première phrase en lien avec ma réponse précédente. Je découvre des sentiments et un pays inconnus, avec une pensée politique.
[RW] Le premier auteur que vous avez aimé ? Pourquoi ?
[EN] Maurice Leblanc. J’ai dévoré tous les Arsène Lupin, c’est ce qui m’a donné envie de lire: les aventures, le dandysme et les effractions. Plus tard, Nick Hornby, j’ai éclaté de rire avec « High Fidelity ».
[RW] Le livre qui a changé votre vie ?
[EN] Je pensais que ça n’existait que dans les livres un livre qui peut changer une vie. Mais quand même, ce que « Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal a opéré en moi est une petite révolution.
Je ne parle pas de la reconnaissance professionnelle, qui n’est certes pas négligeable, mais surtout je me suis trouvé comme acteur et metteur en scène grâce au travail que j’ai entrepris suite à cette lecture. J’ai senti comme une évidence, j’avais rencontré l’oeuvre contenant tout ce que je souhaitais raconter avec ma sensibilité et ma manière de faire du théâtre. Se trouver, s’épanouir et grandir, ce n’est pas rien.
[RW] Le livre que vous emmèneriez partout avec vous ?
[EN] « Le Roman inachevé » d’Aragon
[RW] Le livre que vous aimez offrir ? Pourquoi ?
[EN] J’aimais offrir « Un homme regarde une femme » de Paul Fournel, pour essayer de séduire avec l’idée que je pourrais être aussi attentif. Et finalement, je ne l’ai pas offert à celle que je regarde maintenant depuis des années.
[RW] Le livre que vous avez le plus relu ? Pourquoi ?
[EN] « Les lettres à un jeune poète » de Rilke. Quel que soit l’âge, on y apprend ou retrouve une force, une envie de tenir bon et d’affirmer ses désirs.
[RW] Votre littérature favorite ?
[EN] Française. Par méconnaissance de la littérature étrangère malheureusement.
[RW] Le livre qui vous a parlé d’amour ?
[EN] Récemment, « Les Furies » de Lauren Groff. À 20 ans « Quatre lettres d’amour » de Niall Williams.
À 20 ans « Quatre lettres d’amour » de Niall Williams.
[RW] Vos auteurs préférés ?
[EN] Hugo, Camus, Maupassant, Yourcenar, Racine, Aragon… sont les premiers classiques qui me viennent. Chez les vivants, Maylis de Kerangal évidemment, Grégoire Bouillier, Virginie Despentes, Patrick Modiano, Jean-Paul Dubois, Joy Sorman, Laurent Gaudé, Tanguy Viel, Mathias Énard, Annie Ernaux. Et ceux que j’ai la chance d’avoir comme amis maintenant, Philippe Delerm et Daniel Pennac.
[RW] Le chef d’œuvre que vous aimeriez relire pour la première fois ?
[EN] « Voyage au bout de la nuit », malgré tout.
[RW]Votre titre de livre préféré ?
[EN] (Envie de redire le « Voyage… ») et « Réparer les vivants » évidemment!) J’adore le titres ! J’en aime tant. Plus que leur contenu parfois. « Le parti pris des choses », « Les choses de la vie », « La vie devant soi », « Le bonheur, tableaux et bavardages », « La conjuration des imbéciles »…
[RW]Votre endroit préféré pour lire ?
[EN] Un fauteuil près du feu avec tous les clichés de confort possible.
[RW] Votre position préférée pour lire ?
[EN] Ni horizontal ni vertical, en diagonal.
« La baignoire est un excellent spot pour la lecture. Vide ou pleine. »
[RW]Quelle est la place des livres dans votre maison ?
[EN] Je réalise qu’il y en a dans chaque pièce sauf la salle de bains. Mais j’en emporte pour lire, la baignoire est un excellent spot pour la lecture. Vide ou pleine.
[RW]Pour vous une pièce sans livres c’est … (un verbe, un mot, une phrase…)
[EN] Dommage. Un huis-clos, une pièce sans ouverture sur l’extérieur. Je pense aux livres de photos aussi, indispensables dans une pièce pour voir ailleurs.
« Le livre est un moyen exceptionnel pour imaginer librement et tranquillement »
[RW]Selon vous, en quoi les livres sont-ils essentiels dans nos vies et dans notre société ?
[EN] Dans une société ultra-rapide aux messages visuels omniprésents, le livre est un moyen exceptionnel pour imaginer librement et tranquillement. Sans image imposée, sans minutage. Ils sont d’ailleurs devenus un test pour connaître notre capacité de concentration qui se disperse à tous vents. Il faut éteindre nos téléphones pour pouvoir lire sans être interrompu par un message, une indignation, une info ou une émotion à la mort d’un acteur célèbre.
[RW] Votre bibliothèque est rangée par…
[EN] … hasard. Et comme il n’existe pas, je m’y retrouve.
[RW] S’il ne fallait garder qu’un mot, pour vous les livres sont…
[EN] Les mots de la vie qui reste(nt).
[RW] Avec quel(le)s auteur(e)s auriez-vous aimé entretenir une longue correspondance ?
[EN] Albert Camus, Jean-Luc Lagarce, Marguerite Duras, Pierre Desproges.
[RW] Merci Emmanuel Noblet
[EN] Merci.
« Les livres sont les mots de la vie qui reste(nt) »
Propos recueillis par Sylvia Minne // Photographies : Francesca Mantovani